Un collier de notes effrénées s’égrène dans les oreilles d’une jeune femme qui dort, au milieu de ses peluches et de ses draps blancs. Dans sa nuisette de satin blanc, elle se prélasse encore un peu, savourant le son de la musique qui coule dans ses veines pour la réveiller. Elle fait cependant une petite moue, encore à moitié endormie : pourquoi a-t-il fallu qu’elle mette sa sonnerie à fond ? Elle se trouve bête de se poser cette question en ce moment précis. Elle sait qu’elle a bien fait de mettre la musique de son portable aussi fort, elle n’est pas du matin vous comprenez. L’emploi de FakeFriend avait une chose de superbe et de désagréable à la fois : les horaires fluctuant. La demoiselle se prénomme Hwang Melati mais, dans l’agence où elle travaille, beaucoup de gens l’appellent soit par son nom de famille qui n’est pas vraiment le sien, soit par son surnom « Mel’ ». Mel’ est un petit peu comme son personnage, celui qu’elle s’est conçu pour plaire à la CHA. Autant vous le dire directement : avant d’intégrer cette agence un peu spéciale, elle n’avait aucune expérience amoureuse. Bref, dans cette agence, elle est un petit peu comme une indépendante : elle doit juste se calquer sur les horaires de son ou de ses client(s). Mel’ n’est pas là depuis longtemps, comparée à beaucoup d’autres FakeFriend mais elle ne fait pas partie de ceux et celles qui ont moins la côte. De toutes les manières, les FakeFriend sont de plus en plus populaires au sein de la population sud-coréenne. Ils ne sont engagés que s’ils répondent à des critères bien précis, alors même les FakeFriend avec un peu plus de temps libre n’en restent pas moins des êtres qui semblent avoir tout pour eux.

C’est au bout d’un petit quart d’heure, qui parut être une éternité pour la jeune femme, que Mel’ ouvre pleinement les yeux. Un soleil d’hiver irradie dans sa chambre. Elle se renfrogne avec un petit sourire, ressemblant à une petite fille qui fait semblant de râler. Puis, dans un élan de dynamisme qui n’est logiquement pas attribué à une fille qui n’est pas matinale, elle fonce à la douche. Le feu aquatique qui se déchaîne sur sa peau la réveille avec une délectation infinie. La jeune fille sort après dix minutes, pas plus : le temps de se savonner avec énergie et de se prélasser un peu sous le jet : elle prendra une douche plus longue ce soir. Quand elle sort en peignoir fait de peluche blanche, elle croise une belle jeune femme assise sur le sofa, un bol de céréale à la main, encore en pyjama. Toute guillerette, la jeune Mel’ fait un gros bisou sur la joue rebondie de sa meilleure amie : Shannon. Elle se dit que c’est une joie de partager un cocon douillet avec une fille comme Shannon avec laquelle elle vit une relation de complicité que je ne peux décrire avec des mots tellement elle est belle. Une relation sans prise de tête, une relation qui vous fait dire que la vie vaut la peine d’être vécue. Et en plus, elle a le même travail que Shannon grâce à cette dernière : alors, même si elle est un peu fatiguée, la jeune femme sourit pleinement. Du haut de ses dix-neuf ans et de son teint frais, on pourrait croire que Mel’ n’a aucun problème : elle qui n’a pourtant jamais vécu dans le confort, sans son père biologique, son père adoptif qui est mort,… ! Cependant, elle possède une qualité merveilleuse : c’est une battante la petite ! Bref, après avoir échangé quelques mots avec sa colocataire, la voici qui se rue vers sa chambre. Elle a rendez-vous pour un dîner à 11h30 dans un des restaurants les plus huppés de la capitale. En effet, le client de ce matin n’est pas n’importe qui. Si « Park » est un nom très courant en Corée du Sud, il n’évoque pas l’homme de classe moyenne dans le cas présent. Il figure un personnage d’un directeur d’une grande usine. Il dirige la branche des cosmétiques, qui aujourd’hui peut rapporter gros dans un pays comme la Corée du Sud. Surtout que M. Park fait également affaire en France, aux Etats-Unis et bientôt au Japon ainsi qu’en Chine. Cet homme n’a personne dans sa vie, ne sachant pas cumuler vie professionnelle et vie amoureuse. Considérant que cela pouvait être perçu comme un échec, il a fait appel à la CHA pour lui trouver une petite amie. Malgré le fait qu’elle ait arrêté l’école à l’âge de quinze ans, Mel’ est cultivée grâce à M. Hwang et à sa culture. Elle est belle, souriante et intelligente. Bref, elle a les critères que ce client demandait. Attention, la plupart des demoiselles de la CHA auraient pu faire l’affaire mais grâce à sa mémoire, Melati avait pu mémoriser en deux jours le dossier envoyé par son client. Le dossier le concernait : ses goûts, sa vie, ses envies,… ! Et cela intéresse notre demoiselle qui aime écouter les autres, jusqu’à une certaine dose. Et puis là, c’est d’un point de vue professionnel et le client a promis une petite fortune.

La demoiselle sort de sa chambre, quarante-cinq minutes plus tard. Sublimée par un maquillage composé d’une légère couche de fond de teint rosé, d’une petite poudre blanche, d’un far à paupière couleur crème et d’un crayon noir ainsi que d’un mascara noir également, elle en jette vraiment. Sa tenue doit faire femme, sophistiquée, un peu sexy mais pas trop : elle doit surtout faire sérieuse. Pour harmoniser le tout, la demoiselle a choisi un petit chemisier blanc surplombé d’un léger pull mauve foncé. Sa minijupe cintrée noire attire naturellement le regard vers ses longues et fines jambes dont les pieds sont chaussés par des bottes noires Gucci. Elle a lissé ses cheveux qu’elle a laissé pendre. Après avoir demandé l’avis de sa colocataire sur sa tenue vestimentaire, la demoiselle se parfume légèrement puis va prendre son petit déjeuner avant d’aller s’affaler sur le canapé aux côtés de Shannon, un mug de café au lait dans la main droite, les jambes croisées, sa farde rose contenant le dossier ouvert sur ses jambes de déesse. Elle le referme dix minutes plus tard une fois qu’elle est certaine qu’elle ne commettra aucune erreur. Si elle doit se faire passer pour la petite amie d’un des hommes d’affaires les plus importants de Séoul, elle n’a pas le droit à l’erreur : si les clients avec qui M. Park doit déjeuner ce midi voient que c’est un leurre, sa réputation ainsi que sa belle image en prendront un beau coup. Autant ne pas tenter le diable.

La jeune femme se lève, accroche sa montre à son poignet ainsi qu’un petit brillant à son cou et elle fait la bise à Shannon qui se prépare :

« J’y vais, on se retrouve vers 14h ! »

La demoiselle pénètre dans le restaurant. M. Park l’attend dans une véranda qui laisse accueillir les rayons du soleil froid ainsi que le bleu pur du ciel sur les tables endimanchées de robes blanches et d’objets en cristal ainsi que d’un service entier en porcelaine avec des dessins dorés. M. Park est facilement reconnaissable, étant seul dans la pièce pour le moment. Elle espère qu’il ne tentera rien de louche mais ne le montre pas. Et elle se raisonne très vite en se disant que cela ne serait pas dans l’intérêt de M. Park de la peloter sauvagement au risque de se faire voir par ses fameux clients qui arrivent justement. M. Park a au moins une bonne dizaine d’années en plus que la jeune femme mais cela ne choque personne, surtout vu son allure et son charisme, elle leur sert la main comme l’aurait fait la femme d’un homme important, en s’inclinant légèrement, alors que M. Park l’enlace doucement en la prenant par les épaules :

« Voici ma petite amie : Kang Mélanie. »

Le dîner se passe sans encombre et, comme prévu, la demoiselle part du restaurant après les clients, pour ne pas paraître louche. Elle rentre dans un taxi qu’elle vient d’appeler à l’aide de son téléphone et elle pianote dessus telle une femme d’affaires tandis que le taxi la dépose directement à la CHA.

Le dîner fut excellent mais éprouvant. Elle dû faire attention à ne pas abuser de champagne, pour garder la tête sur les épaules. Le foie gras de l’entrée fût délicieux mais la viande du plat principal lui reste un peu sur l’estomac. Après avoir avalé un cachet, elle règle le taxi et se lève avec une classe somptueuse. Elle sourit de toutes ses dents au chauffeur et sort. L’air frais lui picote les joues et lui rafraîchit la gorge comme un bonbon mentholé. Elle se rue dans l’ascenseur et salue l’employée qu’elle reconnaît aussitôt. Elle rejoint son amie au réfectoire, sur une des petites tables rondes en aluminium et elle y dépose son portefeuille rectangulaire vert foncé. Ce n’est pas du vrai crocodile, ni même une imitation : cela en a juste le côté chic, pas le côté « Je tue des animaux. » ni même « Je me la pète avec une imitation croco. » Lissant les petits carrés matelassés de la matière sous ses doigts, elle dépose un café crème sur la table après avoir fait la bise à son amie qui l’attendait déjà, vêtue elle aussi d’une tenue de travail un peu plus holé holé.

« Alors ma belle, raconte moi comment s’est passé ton boulot ! » la demoiselle ne remplacerait cette pause café pour rien au monde !